Interview Forbes Roumanie

Forbes Life

9 janvier 2017

Traduction de l’interview de Radu Lilea pour le magazine FORBES Roumanie

Pourquoi avez-vous choisi cet art? Qu’est-ce qui vous a attiré à la marqueterie?

J’ai choisi cet art car il correspond à ma personnalité. Il y a une partie technique très rigoureuse et malgré tout une grande liberté de création. J’aime également la matière, et le fait de concevoir quelque chose de mes mains. Le résultat est très concret.    

Où vous êtes-vous spécialisé en marqueterie? Qui sont les gens qui vous ont inspiré, ceux que vous avez appris?

J’ai fait l’école Boulle à Paris (j’ai repris l’école à 31 ans). J’ai tout d’abord fait une formation en ébénisterie avec une spécialisation en marqueterie. (A la base, j’ai une formation dans le dessin). J’aime beaucoup les meubles de style Art Nouveau avec cette forte inspiration de la nature (exemple : Gallé) puis l’époque Art Déco avec un grand travail de la matière (par exemple le galuchat très utilisé).

Comment ont été les premières années de votre carrière? Quelles étaient tes aspirations?

Avant d’être indépendante, j’ai été salarié pendant 8 ans dans l’entreprise Elie Bleu qui fait des coffrets à cigare, à bijoux, à montre. Je réalisais des décors en marqueterie sur les coffrets pour de grandes marques de luxe comme Cartier, Hermès, Van Cleef and Arpels, Boucheron, etc… J’ai également crée quelques modèles pour la marque Elie Bleu, tout en répondant à une demande sur un thème précis. Le fait de travailler pour ces marques de luxe très exigeantes m’a amené à beaucoup progresser techniquement car les défis des motifs imposés étaient toujours de plus en plus compliqués.

En parallèle de cet emploi, j’ai installé mon propre atelier à la maison. J’ai d’abord fait des marqueteries assez traditionnelles, inspirés de motifs floraux. Puis dans certains projets pour les marques, j’ai été amené à rencontrer se nouvelles matières, autres que le bois et la nacre. Grâce à ces rencontres, j’ai d’abord fait des recherches techniques pour associer ces matériaux, qui m’ont donné l’inspiration pour réaliser mes créations.

Dites-m’en plus sur les spécificités de votre travail. Quelle est la rareté de trouver un véritable artiste en marqueterie de nos jours?

J’ai vraiment voulu développer ce travail sur la matière, ce qui apporte dans mes créations de la texture et des effets mats, veloutés, brillants. J’utilise ces matériaux comme une palette de peinture pour créer et réaliser toutes ces pièces.Je ne connais pas d’autre marqueteur qui travaillent avec autant de matériaux différents. J’ai d’ailleurs développé mes propres techniques, une pour les tableaux et coffrets, puis une encore plus complexe pour la marqueterie miniature.La marqueterie est une discipline peu connue aujourd’hui et difficile à vendre, car chère à cause du temps passé.Très peu de collègues font des véritables créations, audacieuses et originales.

Vous êtes maintenant un designer indépendant. Comment choisissez-vous votre prochain projet?

Quand j’ai du temps, je réalise mes propres projets, tableaux ou bijoux, mais depuis un moment, c’est plus rare car les demandes se suivent et c’est très bien !

J’ai en ce moment plusieurs projets en cours, cadran de montre et bijoux haute-joaillerie pour Piaget et une demande pour des clients particuliers, un tableau avec un thème et quelques couleurs demandées.

Parlez-moi de votre collaboration avec les marques de luxe. Quel était votre premier projet dans ce domaine? Que diriez-vous du plus difficile?

Je suis indépendante depuis 4 ans maintenant et le premier à m’avoir fait confiance est Mr Kaeser !
Depuis 2 ans et demi, je travaille pour la marque Piaget avec qui j’avais une exclusivité pour les gardes temps (tout ce qui donne l’heure). Je vais maintenant continuer à travailler avec Piaget mais je vais également pouvoir travailler dans l’horlogerie pour d’autres marques.
C’est une belle reconnaissance de pouvoir travailler avec ces grandes marques.
Le premier projet de cadran de montre était la Rose, la rose Piaget, symbole de la marque, puis la rose pour démarrer était un joli clin d’œil avec mon prénom Rose.
Le plus difficile est de faire comprendre ma façon de travailler afin que les designers fassent des dessins qui correspondent à ma technique.

Outre les métaux, le bois et la nacre, vous avez travaillé avec des matières premières inhabituelles comme des coquilles d’œufs, des os, de la paille. Lequel est le plus difficile?

Chaque matériau a sa spécificité, et est préparé différemment afin d’être travaillé. Mais celui qui m’a donné le plus de mal est la feuille de tabac, utilisé sur les coffrets pour Davidoff. C’est une matière extrêmement fine, fragile, friable. Il a fallu chercher comment la stabiliser, la découper, la coller, et la vernir, et que j’arrive à l’associer aux autres matériaux !

Combien de temps faut-il pour décorer un cadran de montre?

Cela dépend des projets. Cela va de 25 à 45/50 heures (La mer, le cadran le plus compliqué jusqu’à maintenant).

Laquelle des montres que vous avez décorées est votre préférée?

J’aime beaucoup La mer mais symboliquement, le cadran qui a fait que Piaget m’a mis en avant est la Rose. J’ai été invitée au SIHH (Salon International de la Haute Horlogerie) à Genève où j’ai eu 39 interviews de journalistes du monde entier pendant 3 jours ! Un moment mémorable et un souvenir incroyable !

Quelle est la chose la plus difficile dans votre travail?

Chaque projet a des difficultés différentes, que j’essaie toujours de surmonter. C’est aussi toutes ces difficultés et ces contraintes que j’aime car s’il ce n’était pas comme ça, ça serait moins intéressant.

Quelle partie de votre travail aimez-vous le plus?

J’aime toutes les étapes de la fabrication, mais quand je termine une pièce, il y a un côté grisant, une véritable satisfaction.

Selon vous, quelle est votre principale réalisation jusqu’ici?

La réalisation qui est la plus forte et la plus marquante est le décor que j’ai créé pour Davidoff. Ils m’ont fait entièrement confiance, et même si ils m’ont donné un thème auquel j’ai répondu, cela donne quelque chose de très personnel lié à mon histoire. Cet oiseau qui s’envole est un joli symbole de liberté et d’indépendance. Et cette forêt sombre au premier plan qui s’ouvre vers la lumière, l’avenir.

Suivez-vous un horaire de travail? Quelle est l’importance de la discipline dans votre carrière?

Comme je travaille à mon domicile, je travaille beaucoup, souvent 7 jours sur 7. Je n’ai pas d’horaires fixes, mais  je travaille régulièrement  jusqu’à 22h. La marqueterie est une discipline exigeante qui demande une grande rigueur, beaucoup de dextérité, de précision et rien n’est laissé au hasard. Je me dois de répondre à mes clients dans les temps qui me sont donnés. Je travaille donc avec un planning.
Malgré tout je m’autorise quelques pauses expositions ou ballades, pour continuer à voir du monde et m’inspirer.

Quelles sont les choses qui vous inspirent le plus?

C’est justement la nature qui m’inspire le plus (même si j’habite à 100 m de Paris !). J’aime la campagne, la montagne, la mer, où je peux me ressourcer.  Je fais beaucoup de photos et je puise dans ces images quand je dois créer.

Comment décririez-vous l’essence de votre art?

Cet art de la marqueterie, tellement liée à ma personnalité, à la fois cartésienne et créatrice est aujourd’hui ma passion, une passion viscérale et qui fait totalement partie de moi. Cela me procure de la satisfaction, une stabilité, un ancrage, de la joie et du bonheur.
J’ai cette grande chance de pouvoir m’exprimer à travers mon art, et de pouvoir en vivre.
Et j’aime l’idée d’interpeler, de partager, d’amener de la lumière, de la couleur, et des émotions à ces quelques personnes qui portent de l’intérêt à mon travail.